Parfois certaines décisions sont difficiles à prendre et risquent de déplaire. Comment agir en connaissance de cause, dans l’intérêt de l’entreprise, tout en restant bienveillant ?
Imaginez que l’on vous demande de former une équipe de dix personnes pour une nouvelle division dans votre entreprise. Pendant des mois, vous travaillez ensemble d’arrache-pied sur ce projet pour être dans les temps et ne pas dépasser le budget. Vous passez de très bons moments avec eux, dans la joie et la bonne humeur. Au bout d’un moment vous vous rendez compte que deux membres de l’équipe ne sont plus à la hauteur. Ce sont tous les deux des personnes sympathiques, appréciées de leurs collègues.
« Il y a dix-huit mois, j’ai été débauchée au sein de mon école de commerce par une société de services pour créer une nouvelle division. J’ai formé une équipe de dix employés et pendant des mois, nous avons travaillé ensemble d’arrache-pied sur ce projet pour être dans les temps et ne pas dépasser le budget. Nous avons passé de très bons moments, dans la joie et la bonne humeur. Nous étions une petite équipe soudée.
Aujourd’hui, je trouve que deux membres de l’équipe ne sont plus à la hauteur. Ce sont tous les deux des personnes sympathiques, appréciées de leurs collègues. Je ne suis pas en train de me demander quoi faire : je sais que je dois les licencier, l’entreprise ne peut pas se permettre d’avoir des gens à la traîne. Ce qui m’inquiète est d’ordre plus général. Je me demande si je suis capable de continuer à diriger une division, certes petite mais qui évolue rapidement, tout en restant une personne aimable. Si je fais ce qui est bon pour l’entreprise, mon équipe ne m’appréciera plus.
Et, ce qui est pire encore, je ne suis pas sûre de m’apprécier moi-même. Mes patrons me disent que j’ai tout ce qu’il faut pour devenir une grande chef. Le mois dernier, j’ai reçu une grosse prime et une belle promotion. Je veux contribuer au succès de l’entreprise, mais je me demande si je peux y arriver tout en restant quelqu’un de bien, ce que j’ai toujours essayé d’être. »
Une manager, trente et un ans
– 250 entreprises ont signé « l’appel à plus de bienveillance au travail » lancé par le magazine Psychologies. à l’occasion de la Journée de la gentillesse du 13 novembre. Elles se sont engagées à développer des actions concrètes autour des thèmes suivants :
– Donner du sens au travail de chacun
– Développer la qualité des relations et le mieux vivre ensemble
– Veiller au bien-être des individus
Lucy Kellaway La réponse est non. On ne peut pas être aimable et diriger une entreprise en plein essor.
Ça ne veut pas dire que vous devez être détestable. Mais il faut accepter d’être parfois impopulaire, et ne pas trop en tenir compte. Il faut que vous placiez les besoins de l’entreprise au-dessus des besoins individuels de vos employés, et en ce sens, vous vous ferez sûrement des ennemis.
Le simple fait de tenir le gouvernail met dans une position où on est amené à juger les autres, et bien souvent ces jugements déplaisent. C’était peut-être différent pour vous dans les tout premiers mois du lancement de votre projet, mais plus votre entreprise prospérera et plus il y aura de la distance entre vous et les autres. Abandonnez très vite l’idée d’être appréciée : vos employés ne sont pas vos amis et ils ne doivent pas le devenir.
En revanche, ce que vous devez obtenir d’eux, c’est leur respect et leur compréhension. Ils doivent saisir que le boulot que vous faites vous oblige parfois à prendre des décisions désagréables. Mais il faut, de votre côté, que vous essayiez d’agir de la façon la plus humaine possible. Et si vous y arrivez, vous pourrez dormir sur vos deux oreilles, en vous disant que vous n’êtes pas si monstrueuse que ça. Ce qui est très destructeur quand on est manager, ce ne sont pas les actes violents qu’on est amené à faire, mais plutôt les histoires qu’on se raconte pour se remonter le moral.
Les managers dont je me méfie le plus sont ceux qui licencient tous les employés sous-performants. Ce sont les mêmes qui licencient, puis qui se persuadent d’avoir rendu service aux personnes concernées. Si, au contraire, vous agissez en pleine connaissance de cause, malgré le côté peu reluisant de vos obligations, vous resterez une personne respectable, pour ne pas dire » aimable « .
Le pouvoir de la gentillesse
« Si vous n’êtes pas aimable avec vos employés, ils ne seront pas motivés. S’ils ne sont pas motivés, ils ne vous suivront pas. La peur et l’oppression ne sont plus des stimulants aujourd’hui. Manager, trente-six ans C’est quoi être aimable ? Si être aimable, c’est dire des choses gentilles et créer une atmosphère de colo, sans aucun danger, alors non. Si être aimable, c’est donner à vos employés le feed-back dont ils ont besoin pour progresser et leur énoncer en toute honnêteté les défis à relever, alors oui. »
Anonyme, un homme
C’est honnête de licencier
« Je me suis davantage trompé en gardant certaines personnes trop longtemps dans mon service qu’en me montrant franc et en résolvant les problèmes suffisamment tôt. Si ça se trouve, vos employés vivent mal cette situation, et ils n’attendent qu’une chose, vous parler. Affronter ce genre de problèmes en douceur est la meilleure chose à faire. Ils seront sans doute beaucoup plus épanouis à un autre poste ou dans une autre entreprise. »
Manager, la quarantaine
C’est affreux de licencier
« Non, vous ne pouvez pas. Les deux données de votre problème (être aimable et faire du bon boulot) sont incompatibles. En gros, vous pouvez être honnête et sympathique dans la manière dont vous allez les licencier ? en n’en faisant pas une affaire personnelle ?, mais vous ne pouvez pas faire du bon boulot si vous vous souciez trop de votre image. J’ai dû affronter cette situation à deux reprises. Ce n’est pas marrant.
Mais au final, ce qui est important, c’est l’image que vous avez de vous-même. Il y a quelques années, après avoir licencié plusieurs membres de mon équipe de marketing, je suis tombé sur l’un d’eux à un colloque. « Ce qui m’a touché, c’est qu’il m’a dit que je n’en avais jamais fait une affaire personnelle, que c’était une décision professionnelle qu’avec le temps, il avait fini par comprendre et accepter. C’est le mieux que vous puissiez espérer.
Directeur, quarante-huit ans
Le bâton, la carotte et l’utopie
« Être un bon leader, c’est motiver les troupes pour qu’elles atteignent les objectifs en employant l’une des théories suivantes :
1. La théorie X : le bâton, pour les tire-au-flanc et les rebelles.
2. La théorie Y : la carotte, pour les jeunes loups et les passionnés.
3. La théorie Z : ni le bâton ni la carotte, car l’équipe est en totale harmonie avec les objectifs fixés. Cette dernière théorie est une utopie qui ne dure généralement pas très longtemps. C’est la période dorée que vous avez connue au (tout) début du lancement de votre projet. Quelle que soit l’approche que vous choisissiez avec vos employés sous-performants, et quelle que soit votre décision (que vous les gardiez, que vous les licenciiez ou que vous les mutiez), vous agirez bien si vous agissez en toute transparence, en fournissant des preuves pour appuyer votre décision. »
Banquier, quarante-quatre ans
Gentil, avec qui ?
« Être un bon chef d’entreprise, c’est être » aimable » avec ses actionnaires et ses patrons. Être » gentil » avec les employés qu’il faut virer, c’est ne pas être » gentil » avec votre employeur ou les actionnaires, et donc pas avec vousmême, puisque les mauvais résultats de votre équipe auront des répercussions sur vous.
N’oubliez pas que dans cette époque où les investisseurs sont ultrapuissants, si vous ne faites pas ce qui doit être fait, quelqu’un d’autre vous le reprochera, et votre réputation en pâtira.Vous pourriez même perdre votre job dans la foulée. Autre chose : en affaires, être gentil, c’est être un paillass »on. L’honorabilité est un objectif plus rationnel, profitable et noble, que peu de gens atteignent.