Dépendre d’un seul banquier est périlleux. Selon votre chiffre d’affaires, de combien de banques avez-vous besoin ? Comment sélectionner les agences bancaires à contacter, en fonction de leur complémentarité, et des crédits que vous pouvez négocier, tout en faisant jouer la concurrence.
« Un chef d’entreprise qui utilise des crédits et qui n’a qu’une banque joue la vie de sa société à la roulette russe ! » Jean-Marc Tariant, dirigeant du cabinet Finance & Stratégie, spécialisé dans le conseil en gestion financière aux PME, ne mâche pas ses mots. Il pointe les nombreux écueils liés au fait de disposer d’un seul partenaire bancaire. A commencer par le plus grave : un changement dans la chaîne de décision de la banque (arrivée d’un nouveau directeur d’agence, changement de politique de la banque vis-à-vis des PME ou autre) peut amener ce partenaire unique à supprimer toutes ses lignes de crédit. La loi autorise la banque à le faire moyennant le simple respect d’un préavis de 60 jours. Or ce délai est très insuffisant pour permettre à une entreprise de trouver des crédits auprès d’un nouveau banquier. Privée de toute autorisation de découvert, d’escompte et de Dailly, la société risque tout simplement de mourir…
AVOIR UNE SEULE BANQUE EST ÉGAL À BEAUCOUP DE
SOUCIS.
Un autre inconvénient lié à la condition d’entreprise « monobanque » est le moindre volume global de crédits bancaires dont on peut disposer. Il est plus difficile de convaincre un banquier de vous octroyer 200 000 euros de découvert et 500 000 euros de prêt à moyen terme que d’amener deux banquiers à vous accorder chacun un découvert de 150 000 euros et un prêt de 300 000 euros ! Enfin, une société qui dépend d’une seule banque se prive de tout levier de négociation auprès de cette dernière. Car comment obtenir des taux de crédit tirés, des octrois limités de garanties, des tarifs intéressants pour ses opérations bancaires et autres faveurs, si l’on n’est pas en mesure de faire jouer la fameuse concurrence interbancaire ?
Deux partenaires financiers… ou plus
Que vous dirigiez une PME ou une TPE (très petite entreprise), vous devez donc avoir au minimum deux banques. Dans quels cas est-il souhaitable d’en avoir davantage ? « Lorsque le chiffre d’affaires de la société atteint 1,5 million d’euros, il faut songer à faire entrer un troisième partenaire, indique Jean-Marc Tariant. Et au-delà de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires, si l’entreprise a des besoins de crédits à court terme ou à moyen terme significatifs, ses dirigeants ne doivent pas hésiter à répartir leurs opérations bancaires et leurs demandes de financement sur quatre ou cinq établissements. »
Le groupe informatique SFDI, qui totalise 18 millions d’euros de chiffre d’affaires avec les sociétés Dynamips (gestion de parcs) et Oceanet Technology (hébergement), a poussé la démarche encore plus loin : il a pris six banques. « Comme nos deux entreprises enregistrent une croissance à deux chiffres d’une année sur l’autre, nous avons un important besoin en fonds de roulement à couvrir, explique Bertrand Guegano, le directeur financier du groupe. Par ailleurs, notre stratégie de développement nécessite que nous réalisions de gros investissements (au minimum 500 000 euros par an), que nous finançons par des emprunts à moyen terme. Le fait d’avoir six partenaires bancaires nous garantit de disposer en permanence des crédits dont nous pouvons avoir besoin. De plus, en faisant jouer à plein la concurrence, nous obtenons des conditions très intéressantes. »
Vous souhaitez prendre une nouvelle banque. Comment sélectionner les agences à contacter pour discuter d’une éventuelle entrée en relation, avant de faire votre choix définitif ? « Pour se constituer un bon pool bancaire, il est conseillé de jouer la complémentarité, fait observer Jean-Marc Tariant. Commencez par analyser vos besoins en matière de produits et services bancaires : si certains de ces besoins ne sont pas couverts par votre (ou vos) banque(s) actuelle(s), adressez-vous à des établissements ayant un savoir-faire dans les domaines concernés. »
Des banques complémentaires et indépendantes
Complémentaires par leurs compétences, vos partenaires bancaires doivent aussi l’être par leur profil, recommande le dirigeant de Finance & Stratégie. « Sur le territoire français, parmi les banques qui s’adressent aux entreprises, certaines sont de dimension internationale, d’autres de dimension nationale. Il existe ausssi de nombreux établissements de taille régionale, dont certains ont un statut classique (privé) et d’autres un statut mutualiste. Par exemple, vous pouvez avoir une banque privée d’envergure nationale et une banque mutualiste concentrée sur votre région. »
Autre point capital : en travaillant à répartir vos risques, faites attention à ne pas mettre en réalité tous vos oeufs dans le même panier ! En effet, il s’est produit tellement de regroupements, de fusions-acquisitions et de changements d’appellation au sein des réseaux bancaires que vous pourriez facilement commettre l’erreur de choisir deux banques très différentes en apparence, mais qui dans les faits appartiennent au même groupe…
Gilles Cibert, qui dirige l’hôtel La Pérouse à Nantes (1,2 million d’euro de chiffre d’affaires), a parfaitement intégré cette logique. « Nous travaillons avec deux partenaires, la BNP et la Caisse d’Epargne. La première est une banque nationale privée, la seconde, une banque régionale coopérative. A elles deux, elles couvrent l’ensemble de nos besoins. Elles ont chacune leurs points forts et des approches différentes face à nos demandes de crédit. Tout cela va dans l’intérêt de l’entreprise ! », se réjouit l’hôtelier.
Pour que votre pool bancaire fonctionne de façon satisfaisante, la règle est la suivante : chacun des établissements doit se voir confier un pourcentage de vos flux bancaires (au débit et au crédit) correspondant à la part des financements qu’il vous accorde.
Une bonne distribution des rôles
Si vous avez deux partenaires bancaires, vous pouvez être tenté de répartir les rôles entre eux à 50/50. Mauvaise idée ! « Il vaut mieux créer une situation inégalitaire, conseille Jean-Marc Tariant. L’entreprise peut confier par exemple 60 % (ou 70 %) de ses financements et de ses flux à la banque A et 40 % (ou 30 %) à la banque B. Ainsi, chacune d’elles va être poussée à l’excellence : la banque A, parce qu’elle devra défendre sa position de leader, la banque B, parce qu’elle cherchera à conquérir du terrain. »
En revanche, une entreprise ayant trois banques – ou davantage – doit éviter de donner trop de pouvoir à l’une d’elles. « Une répartition des financements et des flux du type 40 % pour la banque A, 40 % pour la banque B et 20 % pour la banque C est judicieuse », indique Jean-Marc Tariant.
Répartir ses flux bancaires n’est pas un exercice évident, surtout si on n’a jamais eu à le faire jusque-là. La meilleure solution consiste à adopter une démarche claire et structurée. A l’image de Kerlink, société spécialisée dans les solutions de communication « machine to machine » (2,6 millions d’euros de chiffre d’affaires). « Nos financements, principalement des crédits à moyen terme, sont fournis par trois banques à parts égales, explique William Gouesbet, directeur général délégué. Pour répartir nos flux à égalité entre elles, je pars des différents flux au débit (paiement des salaires, loyers, fournisseurs, impôts, etc.), que je confie de manière permanente, selon leur nature, à l’une ou à l’autre des banques. Ensuite, pour les flux au crédit, j’affecte les règlements de nos différents clients sur telle ou telle banque, qui est toujours la même pour un client donné. A la fin de chaque mois, je regarde si chaque banque a bien eu le pourcentage de flux qui lui revient. Et si nécessaire, je rétablis l’équité en faisant des virements d’équilibrage entre nos comptes bancaires. » Vous avez compris ? A vous de jouer !